Elle pose le journal et reprend sa tasse de café.
– Ta grand-mère a essayé de me convaincre l’autre jour que tu sortais avec ce gar?on, mais je ne l’ai pas crue bien s?r. Il semblerait que j’avais tort.
– Tate et moi ne sortons pas ensemble, maman.
Je mets ma tête dans le frigo en espérant que le froid va rafra?chir mes joues devenues soudain br?lantes.
– Ah non ? ?tonnant, parce que d’après ta grand-mère, le jardinier lui a dit que quelqu’un a s?rement piétiné le parterre de roses devant le treillis sur le c?té de la maison. Celui qui est juste sous ta fenêtre.
Merde… Je sors la tête du frigo avec un yaourt à la main.
– Rien de bien méchant, je dis en allant chercher un bol. On ne fait que tra?ner.
Maman secoue la tête, amusée.
– Ce n’est pas comme si je ne savais pas ce que ?a veut dire, chérie.
– C’est juste un truc pour s’amuser, je dis en haussant les épaules. On va se séparer à la fin de l’été, donc ?a ne va pas déboucher sur grand-chose.
– Je vois. ?coute, tant que vous vous amusez…
– C’est le cas.
– Et tant que vous prenez des précautions, ajoute maman avec un air pincé.
Mes joues sont de nouveau br?lantes.
– C’est le cas.
– Alors j’imagine que je n’ai aucune raison de m’inquiéter, conclut-elle.
Je ne vois pas très bien pourquoi elle s’inquiéterait tout à coup. Maman ne s’est jamais souciée de ma vie amoureuse, si ce n’est pour me critiquer de ne pas en avoir.
Elle change de sujet et me regarde en sirotant son café.
– Comment va ton père ?
Je me tends. Attendant ? et son infirmière ?.
Mais ?a ne vient pas.
– Il va bien. Nous avons passé un bon moment. Les filles ont adoré leur cadeau.
– En parlant de cadeau…
Elle termine son café et se dirige vers le plan de travail, et c’est à ce moment-là que je remarque un cadeau soigneusement emballé près du bloc de couteaux. Dessus, une enveloppe couleur lavande.
– J’ai décidé d’attendre jusqu’à aujourd’hui pour te l’offrir, tu étais tellement occupée hier.
Son ton n’est pas agressif, mais il doit forcément y avoir une pique derrière, une sorte de sous-entendu rancunier, du genre tu étais si occupée hier… parce que ton père et son infirmière t’ont éloignée de moi toute la journée. Pourtant je ne vois rien de tout ?a sur son visage, pas l’once d’une hostilité.
– Hier, j’ai été très occupée, c’est vrai.
J’ouvre d’abord l’enveloppe et j’en sors une carte dont le recto est orné d’une délicate fleur violette. ? l’intérieur, la carte est blanche avec juste un message de ma mère très soigneusement écrit à la main : Joyeux anniversaire, Cassie. Je t’aime, maman. Et il y a un chèque de cinq mille dollars.
– De l’argent de poche pour ta dernière année d’études, m’explique-t-elle.
– Merci.
Carte-cadeau, chèque. Mes parents font dans la facilité, visiblement.
– Maintenant, voici ton vrai cadeau, ajoute-t-elle en faisant glisser le paquet vers moi.
Son ton est léger, un peu plaisantin, pourtant elle a l’air pressée. Bizarre, pourquoi a-t-elle l’air si impatiente que je l’ouvre ?
J’étudie la bo?te étroite, format papier à lettres et pas trop épaisse. Je me rends compte qu’il s’agit d’un vêtement lorsque je soulève le couvercle et que j’aper?ois du tissu sous le papier de soie blanc : c’est un crop top.
Je m’arme de courage. Il doit y avoir une attaque quelque part.
– J’ai demandé à Joy de le choisir, me dit maman, un peu anxieuse.
?a alors ! Ce n’est pas une blague, Je répète, ce n’est pas une blague.
C’est un geste sincère.
– Oh ! je m’exclame, toute surprise.
Je passe mes doigts sur la matière c?telée. J’ai vu ce haut dans une des boutiques du centre commercial quand Joy et moi avons fait du shopping il y a quelques semaines. Je l’avais pris en main, je le trouvais très chouette, je me souviens même d’avoir demandé à Joy si le vert émeraude m’allait bien. Je ne l’avais finalement pas acheté, uniquement parce que je n’avais pas envie de dépenser deux cents dollars pour un bout de tissu.
– Je sais que j’ai dépassé les bornes ces derniers jours, commence maman.
Les chocs ne cessent de se succéder.
– La semaine dernière, lorsqu’on a discuté dans le patio, tu revenais de ton d?ner, je t’ai fait une remarque sur ta tenue et je suis peut-être allée un peu loin…
Peut-être ? Un peu ?
– Juste un peu, j’ajoute, l’air détachée.
– Je suis désolée. J’étais de très mauvaise humeur ce soir-là, et j’ai bien peur de m’en être prise à toi sans vraie raison. (Elle rit et elle a l’air vraiment embêtée.) Je ne pense pas que tu sois une bimbo. ?videmment je ne le pense pas. Comme je l’ai dit, j’étais de mauvaise humeur. Je m’excuse.
Je ne sais pas pourquoi, mais j’ai l’impression que, d’une manière ou d’une autre, c’est une ruse. Un jeu dont je ne connais pas encore la fin. C’est compliqué de faire confiance à ma mère. Vous ne pouvez pas faire confiance à une personne qui a passé des années à vous rabaisser en permanence.
Maman n’a pas fini :
– J’en ai parlé avec ta grand-mère quand nous étions à Charleston, et elle m’a fait remarquer que lorsque j’avais ton ?ge, moi aussi, je manquais de confiance en moi. Une insécurité qui n’est pas aidée, c’est vrai, par quelqu’un qui ne se gêne pas pour partager son opinion négative sur tes choix vestimentaires. Alors, si tu décides de subir une réduction mammaire…
Je me tends à nouveau.
– … je t’accompagnerai volontiers à la consultation. Mais si tu décides de ne pas le faire, pas de problème. (Elle tend la main et touche la matière douce du crop top.) Quoi qu’il en soit, je suis s?re que tu seras magnifique avec ?a. Pourquoi ne pas le porter aujourd’hui ? Mets-le avec la jupe longue que nous avons achetée la semaine dernière, la kaki, imprimée de fleurs jaunes. Une belle tenue pour notre journée à Charleston. (Maman fait une pause.) C’est toujours ce qui est prévu, n’est-ce pas ? Un dimanche d’anniversaire en ville ?
– Bien s?r. Il faut juste que je me douche, que je me change, et je serai prête à partir.