The Summer Girl (Avalon Bay, #3)(24)
Je reste sur mes gardes. On ne sait jamais de quelle humeur elle va être. Mais je suis devenue une vraie pro de la relation avec ma mère, toujours prête à faire face à une possible agression. Un jour, c’est une critique acerbe ou une demande de justification pour des conneries. Le lendemain, elle peut commencer par être gentille, voire agréable, en m’encourageant à baisser ma garde… et paf ! elle passe à l’attaque. Mais je ne suis plus la petite fille na?ve que j’étais, je connais toutes les ruses de ma mère et la tactique à adopter pour faire face à chacune d’elles.
Alors, quand elle me dit :
– Je suis un peu triste, ma chérie… voilà trois jours déjà que je n’ai pas entendu ta douce voix…
Ce ton léger et taquin m’indique que c’est un piège. Elle n’est pas triste, elle est furieuse ; non, elle ne plaisante pas, ce qui veut dire que je ne peux pas répondre par une blague.
– Je suis désolée, je dis simplement.
Avec juste ce qu’il faut de timidité dans la voix.
Avec trop d’excuses, elle devient méfiante.
– Tu as raison, j’aurais d? appeler plus t?t. Tu sais, j’étais tellement occupée…
Ma stratégie fonctionne. Rien ne réjouit plus ma mère que prononcer ces deux mots : ? Tu as raison. ?
– Je suppose que ta grand-mère t’accapare beaucoup, ajoute-t-elle.
Sa fa?on à elle de me ? pardonner ? mon silence. Une stratégie à peine déguisée pour rejeter la faute sur sa propre mère, mais je n’ai aucune envie de mêler grand-mère à tout ?a.
– Pas vraiment. Nous sommes allées faire du shopping ce week-end, mais j’ai surtout passé du temps avec Joy. Comment va Boston ?
– Toute la ville ? C’est quoi cette question ?
Je soupire et change vite de sujet, laissant échapper un rire nerveux.
– Ha ha ! Tu as raison, c’était une question idiote. Je suis tellement bête parfois. Je voulais juste dire : comment vas-tu ? Est-ce que tu profites de la ville ou est-ce que tu as h?te de redescendre à Avalon…
Erreur !
Je regrette déjà la question à la seconde où je la prononce. Merde ! Je suis à c?té de la plaque. C’est parfois difficile d’oublier que l’on n’a pas affaire à un être humain normal. Les narcissiques sont une espèce à part. Sa réponse est pleine du venin de l’amertume :
– Il n’y a rien que j’aimerais moins que passer du temps dans cette ville, répond-elle sans humour. Mais le devoir familial passe avant tout.
Je sais que ?a l’exaspère de ne pouvoir faire marche arrière. Mais mes deux oncles et ma tante se sont engagés à faire le voyage pour dire au revoir au Beacon, et s’il y a une chose que ma mère ne peut pas tolérer, c’est bien de passer pour la méchante en ne venant pas.
Son ingratitude est incroyable ! Le Beacon a appartenu à notre famille pendant des décennies. Il est à l’origine de toute cette richesse dont ma mère aime tant profiter. Le moins qu’elle puisse faire, c’est un adieu convenable et profiter de cette dernière chance de réunir la famille Tanner. C’est comme laisser partir un superbe bateau et regarder les nouveaux propriétaires le baptiser avec une bouteille de champagne avant que la famille quitte Avalon pour toujours.
– Je suis à l’h?tel en ce moment même, je dis, espérant l’apaiser avec l’un de ses sujets préférés : l’argent. La nouvelle propriétaire a investi beaucoup dans cet h?tel, et ?a se voit, il est magnifique, tu vas adorer. Nous venons juste de terminer la visite du spa où tout a été fabriqué sur mesure en Italie avec un design spécialement con?u pour Le Beacon.
?a pique son intérêt.
– ?a a l’air prometteur, en effet.
– N’est-ce pas ?
Ensuite, même si j’aurais d? me mordre la langue plut?t que de prononcer les mots qui suivent – et dont je connais les conséquences –, je me force à dire :
– Nous devrions faire une journée spa mère/fille, en mettant autant de faux enthousiasme que possible dans ma voix.
Le bon c?té des choses, quand on parle à des narcissiques, c’est qu’ils partent du principe que tout le monde les adore et meurt d’envie de passer du temps avec eux, ce qui signifie qu’ils se demandent rarement si vous êtes sincère ou pas. Dans leur esprit, il est évident qu’on recherche leur compagnie, parce qu’ils sont parfaits, incroyablement intéressants, et qu’ils font honneur à toute l’humanité.
Le pire, c’est que la plupart des gens ne voient pas clair dans leur mensonge. Du moins, pas au début. Je ne peux même pas compter le nombre de fois où on m’a dit à quel point ma mère était merveilleuse. Ou qu’on m’a accusée d’être trop susceptible, que je voyais partout des attaques voilées – et parfois, pas du tout voilées : ? Oh, cette Cassie, aucune confiance en elle, elle imagine des sous-entendus désobligeants à chaque mot. ?