Si j’avais toute ma tête en ce moment, je sais que j’aurais honte de ce que je fais, mais je suis trop désemparée, je sanglote dans les bras de Nia en plein milieu de l’allée. Nia, la belle-mère qui ne m’aime même pas, m’apporte le réconfort qu’aucun de mes parents n’a été capable de me donner de toute ma vie.
– J’ai d? vivre avec ma mère, je n’ai pas eu le choix. Il savait pourtant ce que c’était que de vivre avec elle. Il s’est débarrassé d’elle, il a pu partir, lui. Moi, je n’ai pas eu ce luxe. J’ai d? continuer à vivre avec elle, continuer à toujours écouter les raisons pour lesquelles je n’étais jamais assez bien. Et pendant ce temps, il est resté ici, dans MA maison, j’arrive à dire, à moitié en grognant, à moitié en sanglots… avec ses nouveaux enfants et leur mère. Leur mère tellement parfaite.
J’enfouis mon visage contre ses seins tout en tremblant sous l’effet des larmes. Elle me serre plus fort et passe sa main dans mon dos, caresse mes cheveux, ce qui ne fait qu’empirer les choses parce que c’est ce qu’une mère est censée faire. Et cela me fait pleurer encore plus. Je ne sais pas trop comment, mais j’arrive à relever la tête, même si j’ai l’impression qu’elle pèse une tonne.
– J’aimerais tellement que tu sois ma mère, je lui dis dans un léger murmure.
Et forcément ?a arrive, l’humiliation est à son comble, je suis prise d’une crise de panique qui me fait perdre mes moyens. J’ai l’impression d’être dans une bulle, je n’arrive plus à respirer. Je n’avais jamais eu ce genre de crise auparavant, ce genre de crise où l’oxygène vous manque. Soudain, je m’affaisse au sol, mes genoux viennent mordre les graviers. Je cherche de l’air, je pleure, je halète et j’évite de regarder les yeux inquiets de Nia parce que je n’arrive pas à croire que je viens de lui dire un truc pareil.
Elle se met à genoux à c?té de moi.
– Respire ! me dit-elle. Respire, Cassandra. Regarde-moi…
Je la regarde.
– Fais comme moi. Respire fort. Inspire. Prête ?
J’inspire.
– Bien. Maintenant, expire…
J’expire.
Pendant les deux minutes qui suivent, Nia m’aide à me rappeler comment respirer. Inspirer, expirer… inspirer, expirer… jusqu’à ce que mon rythme cardiaque se régularise et que mes mains ne soient plus engourdies.
– Je suis vraiment désolée, je lui dis d’une voix enrouée.
Je jette un coup d’?il vers la maison, voyant que la lumière du porche est allumée. J’aper?ois un mouvement dans le salon. Est-ce que c’est mon père ?
– J’ai réveillé tout le monde ?
– Non, non pas du tout.
– Comment tu as su que j’étais dehors ?
– La caméra de la sonnette envoie une alerte sur mon téléphone. ?a m’a réveillée, mais ton père dormait encore.
– Je suis désolée. Je ne voulais pas faire irruption. Il s’est passé quelque chose ce soir, et…
Je m’arrête net.
– Tout va bien ? Ta grand-mère ?
Je cherche toujours ma respiration.
– Tout va bien. Elle va bien. Nous étions à la réouverture de l’h?tel familial et… pour faire court, ma mère a décidé d’annoncer à toute la salle de bal qu’elle avait eu une liaison avec le père de mon copain. J’avais dix ans à l’époque.
Nia ouvre grand ses yeux.
– Oh.
– D’après ma mère, papa était au courant de cette liaison. Il t’en a parlé, à toi ?
J’étudie la moindre expression de son visage. Au bout d’un moment, elle hoche la tête et m’avoue :
– Il me l’a dit, oui. Mais je ne crois pas qu’il savait qui était cet homme.
Mon Dieu… c’est tellement tordu, cette histoire.
– Sans doute pas. La mère de Tate ne savait pas non plus que c’était ma mère. Cette conversation était tellement gênante, tu n’as pas idée. J’avais beau regarder maman, je ne la reconnaissais pas en la voyant prendre du plaisir à raconter ces horreurs. Toute ma vie, j’ai voulu avoir une mère normale. Et ce soir, j’ai réalisé que ?a n’arrivera jamais, pas avec elle en tout cas.
Je souris tristement à Nia.
– Je suis désolée. Je sais que je ne suis pas ton enfant. Tu n’as pas à rester ici au milieu de la nuit pour me réconforter.
Le ton de Nia devient sérieux.
– Je ne t’ai peut-être pas mise au monde, Cassandra, mais je te considère certainement comme ma fille.
– Des conneries…
Puis je me reprends :
– Désolée, je ne voulais pas dire de gros mots.
Elle rit doucement.
– Ne t’inquiète pas, chaque jour, le mot ? merde ? est prononcé dans cette maison plus de fois que je ne peux le compter. Et ce ne sont pas des ? conneries ?. Je l’admets, j’ai gardé mes distances vis-à-vis de toi au fil des ans. Pas parce que je ne te considérais pas comme un membre de la famille ou que je n’ai pas d’affection pour toi… (Elle hésite.) Mais ta mère est… difficile.
– Non, tu crois ?
Une réponse qui nous fait rire toutes les deux.
– Je me suis dit que c’était ?a, je lui avoue. Que tu gardais tes distances à cause d’elle. Mais moi, je ne suis pas elle, je ne suis pas comme elle. Pas du tout.
– C’est vrai, me confirme Nia. Mais il y a beaucoup de choses que tu ne sais pas, chérie. Quand ton père et moi, on est devenus amants…
J’étouffe un nouveau rire.
– S’il te pla?t, ne le dis pas comme ?a.
– Que dois-je dire, alors ?
– Dis… quand on s’est mis ensemble.
Ses yeux pétillent.
– Quand ton père et moi, ? on s’est mis ensemble ?, ta mère était très malheureuse. Elle n’avait rien de gentil à me dire et rien de gentil à dire sur moi. Il y a eu beaucoup d’avertissements, notamment sur ce qui se passerait si j’essayais de lui prendre sa fille ou si j’osais la critiquer en ta présence. On est allés jusqu’à la confrontation devant le juge…
Je suis en état de choc.
– Elle a menacé ton père de lui retirer son droit de visite.
Nia soupire.
– Tu avais douze ans quand Clayton et moi on s’est mis ensemble, et elle a dit au juge qu’elle ne voulait pas que la bimbo de son ex-mari – je t’assure, j’ai d? chercher ce mot dans le dictionnaire – finisse par laver le cerveau de sa fille pour la faire la détester. On en est arrivés à une séance de médiation, et pendant la première année, je n’avais même pas le droit d’être seule avec toi.