– Tu as raison, ce n’est pas bien de ma part. Mais au début, il avait l’air vraiment cool.
– Je sais. Je l’ai vu faire son numéro de Monsieur Charmant tout un été. Souvent, il le fait durer pendant plusieurs rendez-vous avant d’essayer de conclure. Je pense que tu l’as rencontré quand il était plus ivre que d’habitude. Avec la baisse des inhibitions, on voit plus vite où il veut en venir.
– Il n’avait pas l’air si ivre que ?a…
Soudain je me souviens du regard d’avertissement de la barmaid. Elle l’avait probablement servi tout l’après-midi. Les gens derrière le bar aussi semblaient bien le conna?tre. J’attrape mon verre et le termine d’un coup avant d’ajouter :
– Et, bien s?r, encore une autre aventure d’été qui s’envole.
– Nah, rouquine, tu n’as rien à faire avec ce loser. Je connais des milliers de meilleurs candidats.
– Si je comprends bien, tu me proposes à nouveau d’être mon copain de drague ?
– Tu sais quoi ? Oui. Allons-y carrément, faisons-le.
Un beau sourire à fossettes éclaire son visage.
– Faire quoi ?
Je me mets à rire. C’est incroyable la vitesse à laquelle il est capable de me remonter le moral. Je ne pense même plus à cet horrible Ben.
– Sortons ensemble demain soir, insiste Tate. Je finis au magasin à cinq heures et je d?ne avec ma mère. Après, je peux venir te chercher si tu veux. On ira au Joe’s Beach Bar. Là-bas, le mélange est assez équilibré entre les mecs du coin et ceux qui te ressemblent.
– Ceux qui te ressemblent ?
– Oui, les clones. Les riches. Il y en a toujours pas mal au Joe’s. Je t’aiderai à trouver les candidats. Je connais pratiquement tout le monde en ville, je pourrais te dire aussi ceux qu’il faut éviter.
– Vraiment, toi, tu vas m’aider à trouver un mec pour les vacances ? Je ne sais pas…
Je reste dubitative.
– Allez, qu’est-ce que tu as à perdre ?
Ma dignité.
Mon amour-propre.
– Je ne sais pas… je répète.
– Allez…
– Hum… hum…
– Allez !
– Tu vas continuer à me harceler jusqu’à ce que je dise OK ?
– Probablement.
Ses fossettes refont leur apparition.
– Allez.
– Oh mon Dieu, d’accord.
*
* *
Voilà comment, le lendemain soir, je me retrouve à attendre devant le Joe’s Beach Bar pendant que Tate cherche une place de parking. Nous ne sommes que lundi soir, mais la promenade est bondée. Le Joe’s bénéficie d’un emplacement de choix, sa grande terrasse en bord de mer est une attraction majeure pour la foule des touristes. Elle n’est qu’à vingt mètres du sable. J’ai toujours aimé cet endroit. La nourriture y est excellente et l’ambiance très décontractée.
– Prête ? lance Tate en remontant le trottoir, tout guilleret.
– Tu t’es garé loin ?
– Non, pas trop. Au parking qui donne sur la plage, près de la boutique de savons.
Quand on arrive à l’entrée, un groupe de jeunes hommes bruyants et ivres sortent ; l’un d’entre eux nous bouscule avant de s’excuser. Tate tend son bras pour me retenir. Du coup, sa main se retrouve au bas de mon dos, et, comme je porte un tee-shirt court, il la pose directement sur ma peau.
Je frissonne de la tête aux pieds.
– ?a va ?
– Bien.
Je ravale ma salive. J’aimerais que mon pouls ne s’accélère pas chaque fois que nous nous touchons par accident.
C’est clair, Tate m’a fait comprendre qu’il n’était pas intéressé par une aventure avec moi. Donc, comme j’aimerais vraiment trouver un mec pas mal et sympa avec qui passer l’été, mon choix est le suivant : soit je me morfonds pendant les six semaines qu’il me reste à passer ici – et je continue à m’extasier devant Tate Bartlett –, soit j’essaie de rencontrer quelqu’un qui est tout aussi cool que lui.
Moi qui fais tout pour ne voir que le c?té positif des choses, je fais ce que je fais toujours et lui lance mon plus beau sourire.
– OK, Bartlett, allons-y ! Faites vos jeux !
– Le jeu va se terminer par une défaite spectaculaire si tu continues à utiliser des phrases comme Faites vos jeux. (Il lève les yeux au ciel.) Allons plut?t chercher un verre, Sherlock1.
Nous commandons deux bières et choisissons une table contre le mur, qui offre une vue sur l’ensemble du bar et aussi sur toute la terrasse. En sirotant ma bière, j’observe la salle, Tate fait de même.
– Pourquoi pas lui ? suggère-t-il en faisant un signe discret vers notre droite.
Je suis son regard vers un type brun avec une carrure élancée et un visage séduisant. Hélas, son allure est g?chée par le choix malheureux du dessin qu’il arbore sur l’avant-bras.
– Certainement pas ?
– C’est le tatouage ?
– ?videmment, c’est le tatouage. Je ne suis pas s?re de vouloir sortir avec quelqu’un qui aime les tacos au point d’en graver un dans sa chair pour l’éternité. Imagine combien de fois je vais devoir me taper des tacos !
Je fais non de la tête.
– Impossible
Tate me fixe.
– Quoi ?
Il éclate de rire.
– Cassie, bébé chérie, si tu veux mon avis, ce n’est pas ce genre de taco qu’il vénère au point de s’en faire tatouer un sur l’avant-bras.
– Qu’est-ce que tu veux dire ? Quoi d’autre alors ? (Tout à coup, je comprends.) Oh… Euh… Non, arrête ! (Je lui lance un regard noir.) Et tu penses que je pourrais sortir avec un mec comme ?a ?
– Pourquoi pas ? Il aime bouffer les…
– Merci, au suivant.
– Compliqué. On n’envisage même pas de considérer un homme qui pourrait vénérer son taco.
J’éclate de rire et il me suit une seconde plus tard. Nous sommes tous les deux morts de rire. Bon sang, pourquoi je m’amuse tellement avec ce mec ? De prime abord, on ne s’attend pas à ce que Tate soit si dr?le. Avec ses cheveux perpétuellement ébouriffés, ses sourires discrets et son léger accent de Géorgie, il donne l’impression d’être une sorte de surfeur indolent, alors qu’il est tout le contraire. Tate est un gar?on intelligent et sacrément bosseur. Le fait que tous ceux qui le connaissent l’apprécient sincèrement en dit long sur lui. Peu de gens peuvent en dire autant.
– Et lui ?
Cette fois, c’est moi qui fais un signe de tête en direction d’un beau mec près des jeux de fléchettes. Le bar dispose d’un mur entier réservé aux fléchettes. C’est en fait une immense planche de bois criblée de bosses, de trous et de marques de toutes sortes… Il est clair que de nombreux projectiles y ont été lancés par des mains en état d’ébriété. Le type que je pointe discrètement du doigt est en train de viser. Il tient sa fléchette, le front tendu, lorsque son ami s’approche de lui et le déconcentre. Le type tourne la tête et tape sur quelque chose. L’autre, interloqué, lève les deux mains et recule comme s’il venait d’affronter une bête sauvage.