– Bonjour, mon chéri.
Elle m’embrasse sur la joue.
– Salut, m’an !
Elle se retourne pour embrasser papa, mais quand ses lèvres s’approchent de sa joue, il fait un léger mouvement et pose sa bouche sur la sienne à la place. J’entrevois un petit échange de langues ; je fais la grimace.
– Vous êtes répugnants, je dis en faisant semblant d’avoir envie de vomir.
Je ne le pense pas, bien entendu. ? cause de tout ce que Mackenzie m’a dit la semaine dernière sur le fait que je n’ai jamais montré beaucoup d’intérêt pour mes petites amies. Je sais que la relation entre mes parents y est pour beaucoup. Quand on grandit en étant témoin de ce genre d’amour, on finit par croire que toutes les relations sont censées ressembler à celle-là. Et puis, on attend. On attend cette chose lointaine, impossible à décrire, tout en sachant qu’elle existe. Je le sais, parce que je le vois chaque jour chez mes parents.
Je suis sorti avec beaucoup de filles, j’en ai baisé pas mal, mais je n’ai encore ressenti de connexion profonde avec aucune d’entre elles. C’est peut-être ringard et ridicule, je ne le dirais jamais à personne, mais je pense que j’attends ce sentiment. Tant que je ne le ressens pas, cela ne sert à rien de m’engager dans une vraie relation avec qui que ce soit.
Papa dit qu’il a su que maman était la femme qu’il lui fallait dès leur première rencontre. Elle raconte les choses un peu différemment. Elle le taquine toujours sur le fait que, techniquement, ils se sont rencontrés au lycée et qu’il n’avait manifestement aucune idée à ce moment-là qu’elle était la femme de sa vie, sinon ils seraient sortis ensemble tout de suite. D’après elle, mon père, grande star du base-ball, sortait avec des pom-pom girls et ne faisait pas attention à elle. Après son dipl?me, il a quitté la Géorgie pour Saint-Louis où il jouait en ligue mineure pour se perfectionner, maman est restée à Saint-Simon, a commencé à sortir avec un comptable, Brad. Plus tard, un an après le début de sa carrière pro, papa s’est blessé, il est revenu vivre sur l’?le et a rapidement renoué avec une ancienne pom-pom girl. Ce qui signifie qu’ils étaient tous les deux engagés dans une relation quand, un après-midi, ils se sont croisés par hasard à l’épicerie. Malgré cela, papa affirme que, dès qu’il l’a vue, il a su qu’il allait l’épouser.
Maman a laissé tomber son Brad, papa sa pom-pom girl, résultat, ils sont mariés depuis vingt-cinq ans.
Papa appelle ?a l’origine de l’histoire. Et il aime bien la raconter. Mais maman… c’est bizarre. Parfois, quand elle en parle, elle arbore cette étrange expression d’incrédulité. Comme si elle ne comprenait toujours pas comment Gavin Bartlett a pu la choisir, elle, Gemma McCleary, plut?t qu’une pom-pom girl avec qui il était sorti au lycée. Je ne comprends pas pourquoi elle est aussi étonnée ? Bien s?r qu’il l’a choisie. Maman, la personne la plus cool que je connaisse.
Intéressée, elle regarde de plus près l’écran devant nous, puis lève la tête et regarde mon père.
– Tu ne peux pas pêcher dans un truc pareil, Gavin.
– Mais il est beau, non ?
– On peut pêcher, oui ou non ?
– Euh… non… mais…
– Alors il est moche, déclare maman. Je dirais même, affreux.
Papa fait la moue et recule son fauteuil de bureau.
– Tu n’es qu’une rabat-joie. Qu’est-ce qui t’amène ici, chérie ?
– J’ai pris une demi-journée aujourd’hui, alors j’ai décidé d’apporter un déjeuner à mes gar?ons.
Elle fouille dans son sac et en sort deux sandwichs enveloppés dans du papier d’aluminium. Spécial hommes, comme elle dit. Ce qui veut dire que chaque sandwich a la taille d’une bo?te à chaussures.
– Le potager pousse à une vitesse de dingue, alors j’essaie d’utiliser tout ce que je peux. J’ai cueilli des tomates fra?ches, de la laitue, des poivrons et j’ai pris le jambon r?ti que tu aimes à la charcuterie.
Les yeux de papa s’éclairent.
– Super, merci, Gem.
– Comment vont mes bébés ? je demande à maman. Tu ne m’envoies pas assez de photos d’eux.
– Parce que j’ai des choses plus urgentes à faire que de prendre des photos de tes toutous, mon c?ur. Comme aller travailler tous les jours, par exemple.
– Je les adore ces deux-là, m’assure papa. Polly s’est débrouillée pour tuer un lapin la semaine dernière. Elle nous a rapporté la tête coupée, rien que pour nous montrer son amour.
Je pouffe de rire.
– Quant à Fudge, il a réussi à rentrer dans le garde-manger hier et a bouffé la moitié d’une bo?te de biscuits, si bien qu’il a pété toute la nuit. Vers dix heures, il dormait d’un sommeil de plomb et en a l?ché un si fort qu’il s’est réveillé tout seul. Il a eu tellement peur qu’après, il n’a plus arrêté d’aboyer pendant cinq bonnes minutes.
Cette fois, je ne peux pas m’empêcher d’éclater de rire.
– Merde, je ne peux pas croire que j’ai raté ?a.
Appuyée sur le c?té du bureau, maman fait un clin d’?il à papa en me désignant du menton.
– Tu lui as déjà demandé ?
Je les regarde tous les deux.
– Me demander quoi ?
– Non, je n’ai pas eu le temps encore, lui répond-il. J’ai été distrait par toutes ces photos de bateaux.
Il fait tourner son fauteuil, les mains sur la nuque.
– C’est beaucoup te demander, je sais, mais on espère que tu vas pouvoir nous rendre ce service, mon gar?on. Tu te rappelles qu’on avait prévu de faire un voyage à l’automne ?
Je hoche la tête.
– Oui, une semaine en Californie.
– C’est ?a. On voudrait partir un peu plus qu’une semaine. On s’est dit que, tant qu’à être sur la c?te Ouest, on pourrait en profiter pour prendre de vraies vacances. On va donc ajouter Hawa? à notre virée.
– Hawa? !
Maman applaudit, folle de joie.
Je me lève et vais me servir un peu d’eau à la fontaine du bureau.
– Et combien de temps seriez-vous partis ?
– Si tu es d’accord, un mois, dit papa. Ton contrat avec le club se termine en septembre, n’est-ce pas ?
– Ouais.
Je ne donne pas de cours de voile en basse saison, je ne travaille que d’avril à septembre. Ensuite, je travaille ici à plein temps. Cela dit, je n’ai encore jamais géré l’établissement seul. Il y a toujours papa et moi, et les responsabilités sont partagées entre nous deux. Travailler seul chez Barlett Marine pendant un mois signifie pas mal d’heures en plus. Mais, d’un autre c?té, ?a veut dire un plus gros chèque. De l’argent supplémentaire qui va pouvoir m’aider pour acheter mon propre voilier.