– Tu plaisantes ? dit Tate. Monsieur Colère, là-bas ?
– Il n’était pas en colère quand je l’ai remarqué.
– Eh bien regarde, maintenant, il l’est. Et c’est un vrai signal d’alarme. Personne ne prend le jeu fléchettes aussi sérieusement que ce mec-là.
Il a raison. Je ne peux pas sortir avec quelqu’un tellement passionné par les fléchettes qu’il peut quasiment arracher la tête d’un ? ami ?, juste pour avoir été interrompu.
– Tu penses que je fais la difficile ? je lui demande, un peu perdue.
– Non. Enfin… oui. Détester les fléchettes, c’est ?a qui est difficile. Mais je connais aussi ces vantards qui ont l’esprit de compétition à outrance. Ce n’est pas très marrant de les c?toyer. (Il hausse les épaules.) Et ils ont tendance à être égo?stes au plumard.
– Vraiment ? Tu as couché avec beaucoup d’hommes trop compétitifs, toi ?
– Non, mais je suis copain avec beaucoup de filles. Elles finissent toujours par balancer des confidences.
– Je n’arrive pas à croire que tu dises un truc pareil.
– Pourquoi ? C’est vrai, non ?
Je lui donne un bon coup de coude.
– Dis-moi, c’est peut-être toi qui as besoin d’aide pour te trouver une nana si c’est le genre de vocabulaire que tu utilises avec les filles.
– Crois-moi, je me débrouille très bien tout seul.
Je n’en doute pas.
Nous restons un moment à observer les gens tout en plaisantant. Il a beau me dire que le Joe’s attire un public mélangé, je ne vois pas beaucoup de mecs possibles dans l’assemblée. Il y a surtout des touristes ou des couples qui ont visiblement trop bu. Tate va nous chercher une autre tournée de bières, et j’en profite pour consulter mon portable. Comme d’hab, des messages de Peyton au format habituel : une ligne max.
Peyton : Comment va ?
Peyton : Efficace, ton copain de drague ?
Peyton : On a trouvé quelqu’un ?
Peyton : J’espère que c’est pas un six.
Peyton : Alors ?
?a la tuerait d’envoyer un seul message ? Impossible de trouver le bon c?té des choses dans le style exaspérant de Peyton.
Sous ses messages, je trouve une réponse de mon ancien demi-frère à ma demande d’illustration.
Robb : Désolé pour le retard ! J’attendais de savoir si j’allais pouvoir le faire. Je viens de terminer un projet plus t?t que prévu, donc je suis partant ! Envoie-moi l’histoire et je pourrai te renvoyer des roughs cette semaine.
Génial ! Le livre va pouvoir se faire. Les jumelles vont m’adorer pour toujours.
Avant de pouvoir répondre à Robb, une ombre se dessine sur la table. Je lève les yeux… je les lève encore… et encore. Le type qui s’approche est littéralement géant. Il doit faire au moins deux mètres, si ce n’est plus.
Un sourire timide se dessine sur ses lèvres. Sincèrement, il est pas mal.
– Salut ! dit-il. Une jolie fille comme toi n’a pas le droit de rester assise toute seule. (Puis il fait une petite grimace.) Je sais, désolé… c’est nul comme phrase d’intro.
Je ne peux m’empêcher de rire.
– Ce n’est pas la plus originale, mais elle fait l’affaire.
– ?a te dérange si je me joins à toi ? Mon copain m’a un peu laissé tomber.
Il fait un geste vers un coin, à l’autre bout de la pièce, où un couple est en train de se dévorer les lèvres… et je suis presque s?re qu’elle a la main dans son pantalon. C’est simple, soit ils vont être mis à la porte d’un instant à l’autre, soit tout le bar va bient?t être témoin d’une partie de jambes en l’air en public.
– Waouh… ils y vont vraiment à fond.
– Oui, je sais. Il fait ?a tous les week-ends. (Le géant n’a pas l’air très content.) C’est la pire des personnes avec qui sortir.
– Et pourtant, tu continues à le faire…
– Sans doute que j’espère un jour trouver une jolie fille pour me tenir compagnie.
– Bravo ! Voilà une phrase mieux formulée.
– Merci, mon Dieu, répond-il en levant les yeux au ciel.
Le visage souriant, il pose une main sur la table.
– Je m’appelle Landon.
– Et moi, Cassie.
– Enchanté, Cassie.
Sa timidité commence à peine à s’estomper quand mon allié choisit précisément ce moment pour revenir avec nos bières.
Dès que Landon aper?oit Tate, il fait un geste de recul.
– Oh, désolé, je ne savais pas que tu étais avec quelqu’un.
– Non, non, on n’est pas ensemble, je réponds. Je te présente mon ami Tate.
– Son coéquipier, précise Tate.
On voit que Landon est à la fois amusé et gêné.
– C’est… euh… cool.
– Je suis aussi son ange gardien, ajoute Tate.
– Pas du tout. (Je me retourne pour rassurer Landon.) C’est faux, je t’assure.
– Bien s?r que si. Je ne laisserai jamais mon amie partir d’ici avec quelqu’un sans conna?tre ses intentions.
Tate croise les bras dans une posture machiste qui me fait soupirer. Il fixe ensuite Landon, l’air le plus sérieux du monde.
– Bon… s’il te pla?t, tu pourrais clairement préciser tes intentions ?
– Oh mon Dieu… je murmure. Ne l’écoute pas.
– Je suis sérieux. Tes intentions, allez, je t’écoute… j’attends.
Landon bouge de fa?on maladroite, il est si grand qu’il ne peut s’empêcher de faire trembler la table. Je m’étonne que le liquide de nos bouteilles ne se mette pas à vibrer comme dans Jurassic Park quand le T. Rex s’approche. Il finit par trouver une réponse.
– Euh… je ne sais pas… Je pensais lui offrir un verre. T’es d’accord ? Je la trouve mignonne, et… euh…
Je ne sais pas si c’est le mot ? mignonne ? qui l’amène à baisser les yeux sur mes seins, ou s’il essaie simplement d’éviter le regard noir de Tate et que ses yeux se posent là par pure co?ncidence. Quoi qu’il en soit, cela lui vaut un avertissement.
– Quand tu me parles, c’est moi que tu regardes, compris ?
Il pointe deux doigts vers ses propres yeux, comme pour ponctuer son propos. Du coup, Landon panique :
– Désolé, vieux. Je… (Il s’éloigne d’un pas.) Tu sais quoi ? Je crois que mon ami m’appelle.
Personne ne l’appelle évidemment, mais mon pauvre géant a apparemment décidé qu’aller regarder son ami tripoter une nana valait mieux que d’être soumis à l’interrogatoire en règle que lui fait subir Tate.