Une heure plus tard, Nia ouvre la porte de cette maison qui fut celle de mon enfance ; son air renfrogné m’indique à quel point elle n’apprécie pas ce changement de plan.
– Merci d’avoir accepté ce baby-sitting, Cassandra. (Son sourire est un peu froid.) Je suis s?re que tu avais mieux à faire pour un samedi soir.
– Pas grave, j’ai à peine vu les filles cet été.
Je ne l’accuse pas, mais je vois une lueur de culpabilité dans ses yeux. Avant qu’elle puisse dire quoi que ce soit, je change de sujet.
– Quelque chose de particulier pour ce soir ? De nouvelles allergies depuis la dernière fois ? Toujours la noix de coco pour Roxy ?
– Juste la noix de coco. (Nia m’entra?ne dans la cuisine.) Elles ont déjà d?né et viennent de prendre leur bain. Clayton est en train de les mettre en pyjama.
De faibles cris de fillettes retentissent à l’étage, elle regarde le plafond avec un petit sourire.
– Ce qui devrait être déjà fait, mais tu sais, ton père transforme toujours la t?che la plus simple en jeu.
– Il a toujours été comme ?a.
– On a fait des courses aujourd’hui, alors il y a plein d’en-cas et de boissons. Mais ne les laisse pas boire de soda, même pas même une goutte, OK ?
– Promis.
– Je vais monter là-haut lui donner un coup de main.
Pendant que Nia grimpe les escaliers, j’enlève ma veste en jean que je mets sur le dossier d’un tabouret de petit déjeuner, je pose mon sac sur l’?lot central et cherche mon portable. Je trouve un message de Tate.
Tate : J’ai prié tous les dieux du baiser en ton nom. Que la chance soit avec toi.
J’ai attendu toute la journée qu’il m’envoie un message, je ne voulais pas le faire en premier. Plus le temps passait sans un mot de sa part, plus je m’inquiétais à propos de ce qui s’est passé hier soir. A-t-on tout g?ché ? J’ai disparu comme une tra?née de poudre après notre séance de plaisir mutuel. Ce matin, quand je me suis réveillée, je me suis demandé ce que j’avais fait. Indéniablement, une limite a été franchie, mais je ne savais pas quoi faire. Je me suis dit qu’on en parlerait et que je pourrais toujours mettre ?a sur le compte du champagne. Mais ?a, ce message que je viens de recevoir ? On va faire comme si rien ne s’était passé… comme si je ne savais pas à quoi ressemble son visage quand il jouit.
Une bouffée de chaleur se répand sur ma peau à l’évocation de ce souvenir répugnant. Je ne vais jamais pouvoir effacer cette image de mon esprit. Ses dents mordant ses lèvres, sa main serrée sur sa queue, le bruit rauque qu’il a fait. Regarder Tate Bartlett frémir en jouissant était la chose la plus érotique que j’aie vécue de ma vie. Mais OK, nous n’allons pas en parler.
Moi : LOL, merci. ?a risque d’être difficile de s’embrasser. J’ai accepté un baby-sitting, Aaron va juste me tenir compagnie.
Tate : Dommage.
Moi : Je sais. Peut-être qu’on sortira après si les parents ne rentrent pas trop tard.
Tate : D’accord. Amusez-vous bien.
En soupirant, je pose mon portable. Après tout, c’est peut-être mieux de ne pas en parler et d’oublier ce qui s’est passé. Seulement voilà, quelquefois c’est difficile, oublier la nuit dernière est tout simplement impossible.
– Les filles se couchent à neuf heures, dit Nia dix minutes plus tard, alors qu’elle et papa enfilent leurs chaussures dans le hall d’entrée. Elles peuvent regarder un film, un seul.
Je la regarde attacher la bride de sa sandale dorée. Elle est magnifique ce soir. Ses cheveux ne sont pas attachés, des boucles noires fournies encadrent son visage et l’adoucissent. D’habitude, elle les tire en chignon bas, ce qui lui donne un air plus sévère. Son maquillage est léger, juste un peu d’ombre à paupières dorée et une touche de mascara. Elle porte une robe bleue dans un tissu souple, ornée d’un motif unique, parfait avec ses sandales dorées à lanières.
– Waouh ! Tu es superbe !
Le compliment est sorti spontanément de ma bouche sans réfléchir. L’expérience m’a appris que Nia n’est pas douée pour recevoir des compliments, ou du moins ceux qui viennent de moi. Elle les rejette généralement d’un revers de main condescendant.
Ce soir, elle me surprend.
– Merci. (Elle lisse le devant de sa robe.) Ma mère m’a envoyé cette robe l’année dernière, mais c’est la première fois que j’ai l’occasion de la porter.
– Un colis d’Ha?ti ? Trop cool.
Nia sourit.
– C’est toujours une belle surprise, mais ?a me donne le mal du pays.
Je suis presque s?re que c’est la première fois qu’elle partage quelque chose d’aussi personnel avec moi. Putain, serait-on en train de créer des liens ? Papa g?che un peu ce moment rare en jetant un coup d’?il par-dessus mon épaule dans le salon où mes s?urs, installées sur le canapé, bavardent entre elles en fran?ais.
– Au revoir, mes petites chéries, lance-t-il.
– Au revoir, papa !
– Ne donnez pas trop de fil à retordre à votre s?ur.
– Promis ! répond Roxy.
Papa m’embrasse sur la joue et s’éloigne. Avant de le rejoindre, Nia me regarde, un peu inquiète :
– Pas de soda, me rappelle-t-elle. Si elles veulent grignoter quelque chose, il y a des galettes de riz sur l’étagère supérieure de l’armoire. Monique les adore, surtout si tu les tartines de beurre de cacahuète. Surtout fais attention, elle adore grimper sur les meubles.
– Ne t’inquiète pas, tout va bien se passer. De toute fa?on, je t’appelle si j’ai besoin de quoi que ce soit. Sortez et profitez du concert.
– Merci, Cassandra.
Tout le monde m’appelle Cassie ou Cass, mais depuis huit ans que je la connais, Nia ne m’a jamais appelée autrement que Cassandra.
Je ferme la porte derrière eux, je la verrouille et me mets à danser dans le salon comme un candidat à un jeu télévisé qui vient d’être choisi pour monter sur scène.
– Très bien, les adultes sont partis ! je crie. ? nous la fête !
Les jumelles éclatent de rire. Je m’installe sur le canapé tout en les serrant fort dans mes bras.
– Je voulais vous dire que j’ai invité quelqu’un à venir passer la soirée avec nous.
Roxy pousse un cri et s’exclame :
– Comment elle s’appelle ? Comment tu la connais ?
– Eh bien… tout d’abord, c’est un gar?on…
– Euh… Hum… dit Mo en faisant une dr?le de tête.
– Comment il s’appelle ? Comment tu le connais ? demande Roxy.