Je suis franchement surprise par tous ces bouleversements. Dans les huit équipes qui concourent, les participants ont des ?ges et des niveaux de compétence variés, mais certains sortent du lot. Comme la jeune serveuse du Sharkey’s Sports Bar, par exemple, qui bat un mécanicien sacrément bien b?ti dans la course à pied pour prendre la troisième place. Ou lorsque l’un des pompiers, qui pèse au moins cent dix kilos et a des troncs d’arbre à la place des jambes, arrive à s’en tirer super bien à la corde raide, comme s’il avait été élevé dans un cirque ; il remporte la première place.
Après sa victoire en planche à voile, Tate remonte sur le sable, secouant les gouttes d’eau qui tombent de ses cheveux blonds. Il me fait un sourire quand il me voit.
– Belle victoire, je lui dis à contrec?ur.
– Merci, rouquine.
Il me fait un clin d’?il et va rejoindre son équipe.
– Pourquoi il t’appelle rouquine ? me demande Zale en regardant la mer. Tes cheveux sont carrément cuivrés.
Enfin quelqu’un qui n’est pas aveugle ! Je le prends dans mes bras.
– MERCI !
Pour se détendre après l’épreuve de planche à voile, Debra Dooley annonce le moment du tir à la corde. Zale et moi représentons l’équipe Beacon. Il est mince mais bien b?ti et, comme je l’avais dit à Mackenzie lors de notre réunion de stratégie, j’ai beaucoup plus de force qu’il n’y para?t.
– Très bien, Cass, tu te sens prête ? On va tout donner ! m’encourage Gen. Voyons si tu peux utiliser la puissance de ces gros lolos !
Je lève les yeux au ciel. Normalement, je m’insurge contre les blagues sur ma poitrine, mais venant de Gen et vu les circonstances, je trouve ?a plut?t dr?le.
– Je vais tout donner, je promets.
Comme je n’ai rien pigé au système de notation de Deb, je me concentre un max quand elle explique comment l’épreuve de tir à la corde va se dérouler. Apparemment par tranches, quatre équipes qui seront réduites à deux, puis à une seule qui, elle, sera désignée vainqueur. Mais on peut également obtenir un point pour chaque manche gagnée en cours de route. Enfin, il y aura le classement habituel : première, deuxième et troisième places. Quelle que soit la règle, il faut tirer sur une corde, n’est-ce pas ?
Zale et moi affrontons les filles de La Savonnerie : Felice et sa manager, Nora. Je me sens un peu sadique à l’idée de détruire deux femmes de cinquante ans, mais leur force nous surprend.
– Creuse ! crie Zale. (Il est le point d’ancrage à l’arrière. Je suis à l’avant.) Enfonce tes talons, Cassie ! On va y arriver !
Je m’accroche à la corde comme une malade, pendant que nos coéquipières nous crient des encouragements sur le c?té. Petit à petit, nous parvenons à rapprocher nos adversaires de la ligne rouge. La sueur coule sur mon front. Je vois les avant-bras de Felice se tendre. Une veine rouge palpite sur le front de Nora. Elles s’essoufflent. Enfin, elles l?chent prise, elles abandonnent. Zale et moi tirons une dernière fois : l’équipe La Savonnerie est éliminée.
– Un point pour l’équipe Beacon, déclare Deb après avoir donné un coup de sifflet. Vous passez au tour suivant.
Pour les trois autres rencontres, je ne suis pas surprise que les équipes avec les plus gros bras gagnent. Les jumeaux Hartley, les mécanos et les membres du club nautique prennent des points haut la main.
Les pompiers sont nos prochains adversaires et, franchement, je ne suis pas très optimiste.
– On peut les battre, m’assure Zale.
Comme Deb a donné à chaque équipe quelques minutes pour parler stratégie, on se blottit l’un contre l’autre à quelques mètres de la zone de combat pour se motiver ; les pompiers eux, ne prennent même pas cette peine, ces connards arrogants sont déjà en position, la corde à la main.
– Zale, on ne va pas y arriver, ces mecs font plus de cent kilos chacun…
Il n’est pas d’accord, il baisse le ton et me dit :
– Tu as vu ce qu’ils ont fait contre les mécanos, non ? Ils avaient placé le petit à l’avant, le grand à l’arrière. Maintenant, regarde ce qu’ils font.
Je jette un coup d’?il discret. C’est intéressant. Le grand est maintenant devant.
– Tu vois, dit Zale qui a repéré le manège. Mauvaise stratégie, moi je te dis. Ils pensent que, parce que tu es à l’avant, le grand sera capable de t’arracher la corde à lui tout seul.
– Alors je devrais aller à l’arrière cette fois ?
– Non ! Au contraire. Ne dis pas de conneries, tu vas m’utiliser pour bien t’ancrer dans le sable. Mais toi, ? ma déesse guerrière que j’adore, tu ne vas pas te laisser faire. Tu ne vas pas bouger, parce que tu vas quoi ?
– Bien enfoncer mes talons, je réponds consciencieusement.
– Tu as tout compris. Enfonce ces talons et tu seras lourde comme la pierre, Cassie. Inébranlable comme une statue, tu seras Stonehenge à toi toute seule.
?a, c’est un discours d’encouragement !
– Maintenant, frotte tes mains avec du sable pour bien les sécher, ordonne-t-il. Une corde sèche est une corde qui gagne.
Une fois en position, je remarque que Tate me fait un beau sourire.
– Allez, rouquine, montre-nous ce que tu sais faire !
Deb siffle et le round commence. Contre toute attente, la stratégie de Zale fonctionne. Nous restons immobiles comme des statues. On ne bouge pas, pas même d’un millimètre. Les pompiers ne comprennent pas ce qui leur arrive, ils dépensent toute leur énergie à essayer de déloger nos talons, qui sont enfoncés si profondément qu’ils sont entièrement recouverts de sable. Nos adversaires sont en nage, mais nous restons Stonehenge, inébranlables. On tient bon.
– Maintenant ! hurle Zale.
On tire à fond, le plus petit n’arrive plus à contr?ler la corde et les deux hommes s’affalent d’un seul coup, la tête la première dans le sable.
– Et un autre point pour Le Beacon !
– Putain de merde ! je m’exclame, abasourdie. On passe deuxièmes !
Zale hurle de joie et me soulève dans ses bras pour me faire tourner sur moi-même.
Les Hartley affrontent ensuite Tate et son partenaire, qui battent les jumeaux à l’issue d’un combat acharné rempli de jurons de toutes sortes.
Avec un sourire carnassier, Tate s’approche alors de moi comme un félin.
– Ohhh… regarde ce que le gros tigre te ramène, lance-t-il, une corde à la main.
– ? part toi, je ne vois rien, abruti, je lui fais remarquer.
Je m’agenouille pour plonger mes mains dans le sable. Elles sont encore toutes moites et j’ai besoin de les sécher. Comme dit Zale, une corde sèche est une corde qui gagne. Ce qui ne veut rien dire, mais cette petite maxime nous a permis d’arriver en finale.