Une fois de plus, Tate et moi répondons en même temps.
– En quelque sorte.
– Juste un peu.
Chapitre 27
Tate
Avant même de tourner la poignée de l’entrée, j’entends aboyer derrière la porte. Mes amours savent toujours quand quelqu’un arrive à la maison. Surtout quand c’est leur papa. Dès que j’ouvre, deux tornades me sautent dessus.
– Salut, vous ! (Je me mets tout de suite à genoux pour leur montrer combien je les aime.) Ouh, là là… vous m’avez tellement manqué !
Fudge, notre labrador chocolat, met ses deux pattes autour de mon cou, il est très c?lin. Polly, notre chien berger, attend son tour comme une vraie lady. Elle joue toujours les timides, elle fait la coquette jusqu’à ce que je ne puisse plus résister.
Dès que je lui dis : ? Allez, viens ma jolie ?, elle essaie de grimper sur mes genoux. Ces deux-là oublient toujours qu’ils sont grands, ils font tout de même quarante kilos chacun ! Nous en avions un troisième, un border collie nommé Jack, mais il est mort l’hiver dernier. Il me manque. Alors que je la gratte derrière les oreilles, la langue de Polly sort joyeusement, elle s’étale ensuite sur le parquet et m’offre son ventre. Fudge fait de même, et soudain, j’ai huit pattes dressées en l’air et deux ventres qui demandent à être caressés.
C’est ainsi que ma mère me trouve dans l’entrée.
– Je vous dérange peut-être ? me demande-t-elle sèchement.
Au son de sa voix, les chiens se lèvent d’un bond, déjà lassés du retour de leur père prodigue. Les ongles de leurs pattes claquent sur le sol et ils s’élancent vers on ne sait où dans la maison.
– Et moi qui pensais que je leur avais manqué, je marmonne en regardant leurs queues dispara?tre.
– Toi aussi, tu m’as manqué, mon petit chéri, me dit maman en me prenant dans ses bras. Je déteste ce gardiennage que tu fais maintenant tous les étés.
– Ne dis pas ?a, tu aimes être seule avec papa.
– C’est vrai. Mais mon fils me manque toujours.
– On s’envoie des textos tous les jours.
– Possible, mais tu me manques quand même. Tu as faim ? Le d?ner est presque prêt.
– Je meurs de faim. Où est papa ?
– En haut, dans son bureau. Il avait oublié de remplir quelques papiers au boulot, il s’en occupe avant le d?ner.
– Cool. Je vais monter lui dire bonjour. Justement, j’ai besoin de voir un truc.
? l’étage, je trouve la porte du bureau de papa entrouverte. Je m’approche et frappe deux coups légers.
– Papa ?
– Oui, entre, petit. (Il m’accueille avec un grand sourire.) Comment va ? Comment se sont passés les Beach Games ?
– Intense. Pour le moment, on est quatrièmes.
– Qui est premier ?
– Les putains de mecs de la caserne de pompiers bien s?r, c’est toujours eux qui dominent.
Je vais ensuite jeter un coup d’?il à la grande armoire vitrée qui couvre tout le mur du fond. C’est en quelque sorte le sanctuaire de la famille, toute notre histoire s’accumule sur ces étagères. Les trophées de base-ball de papa, les photos de l’époque où il travaillait à Saint-Louis, leurs photos de mariage, tous les trophées que j’ai remportés dans mon enfance, les médailles de bon élève, etc. Et là, entre le dipl?me universitaire encadré de maman et une copie de l’acte de propriété de Bartlett Marine, je trouve la fameuse photo dont j’ai parlé à Cassie. Moi posant après ma première régate et tenant le premier trophée que j’ai gagné. Ou plut?t, essayant de le tenir. L’expression de mon visage montre que je lutte pour qu’il ne m’écrase pas.
– ?a te dérange si je la sors ? je lui demande en montrant la photo.
– Non, vas-y. (Il s’esclaffe.) Tu plonges dans tes souvenirs ?
– Non, mais j’en ai parlé à Cassie tout à l’heure. J’ai pensé que ?a lui ferait plaisir de la voir.
J’ouvre l’armoire, retire soigneusement le cadre que je pose sur le bord du bureau de papa et je bouge l’appareil photo de mon portable pour trouver l’angle qui va éviter les reflets.
– J’étais mignon quand j’étais enfant, je fais remarquer.
Papa se gratte la gorge.
– Et tellement plus modeste !
Je prends donc une photo de cette photo que je replace ensuite dans l’armoire. En refermant la porte, mon regard s’arrête sur une autre photo encadrée où on voit mon père jeune tenant le m?t d’un yacht d’un blanc immaculé. ? voir son grand sourire, il a l’air heureux.
– C’était ta traversée Hawa?-Australie à la voile ? je lui demande. Celle qui t’a pris un mois ?
– Oui. Trente-deux jours, exactement. Quelle aventure ! J’ai failli mourir dans l’ouragan Erma.
– Hum… sympa !
Mon sourire dispara?t quand je repense à l’offre de Gil Jackson. Sa proposition m’obsède, mais je n’ai pas encore pris de décision. Ce ne sera pas si facile que ?a de quitter Avalon. Bien s?r, je peux faire cette traversée en soixante jours, mais qui sait si et quand j’aurai à nouveau une telle opportunité ? Si j’accepte ce contrat, j’aimerais profiter un max du Surely Perfect et donc prendre les quatre mois que m’a proposés Gil. Quatre mois pour vivre l’aventure d’une vie.
Papa se retourne sur sa chaise et croise les mains derrière la tête.
– Hé fiston, pourquoi tu fais cette tête ? Qu’est-ce qui se passe, petit ?
– Gil m’a demandé de lui livrer le Surely Perfect en Nouvelle-Zélande.
Il soulève les sourcils.
– Vraiment ?
Je m’appuie contre la bibliothèque. J’hésite, mais je veux savoir ce qu’il en pense. Je sais aussi qu’il ne voudra pas que je prenne autant de congés.
– Incroyable, hein ? Ils ont acheté une maison à Auckland et prévoient d’y vivre la moitié de l’année. Ils auraient besoin du bateau pour le jour de l’An. Ils me paieront, bien s?r.
Mon père n’en revient pas.
– Tu aimerais le faire ?
– Bien s?r que oui. Pourquoi, tu crois que je ne devrais pas ?
Sa pose décontractée change. Il baisse les bras et pose les mains sur ses genoux. Il devient sérieux et réfléchit sérieusement à ce que je viens de lui dire.
– Quel est le point de départ, la Californie ?
– La Floride. Il faudra deux jours pour aller de Charleston au port de Miami. Là, il faudra faire l’approvisionnement et préparer le bateau. Ensuite, cap sur Auckland.
Visiblement, quelque chose le chagrine.