The Summer Girl (Avalon Bay, #3)(148)
Au marché, je ne prends pas de chariot et me dirige directement vers les allées des fruits et légumes. Je choisis quatre gros oignons, en en prenant deux dans chaque main. Quand je me retourne, je tombe nez à nez avec la mère de Tate.
– Gemma… je dis d’une voix étranglée, bonjour !
Elle est tout aussi surprise que moi.
– Cassie… bonjour !
Le silence tombe.
Ouh là là, ?a devient gênant…
Je reste là, à essayer de trouver quoi dire. Je ne l’ai pas vue depuis cette horrible nuit du Beacon. Est-ce que j’en parle ? Est-ce que je lui demande comment elle va ? Est-ce que je m’excuse de la part de ma mère ?
Maintenant, on piétine toutes les deux avec ce qu’on a dans les mains. Dans mon cas, malheureusement, ce sont des oignons. Ce que j’oublie en levant bêtement une main pour me gratouiller le nez. Comme mes doigts tenaient ces foutus oignons, par réaction, je commence à pleurer. Eh merde…
Gemma jette un coup d’?il à mon visage et fond en larmes elle aussi.
– Oh, non, non, je lui dis en essayant d’essuyer mes yeux avec mon coude. Je ne pleure pas, ce sont les oignons.
– Eh bien moi, je pleure… et ce n’est pas à cause des oignons.
– Ah ?
Nos regards se croisent.
En reniflant, elle se frotte les yeux avec sa manche, puis me fait un sourire un peu triste.
– Tu as une minute pour parler ? Je sais que c’est Thanksgiving, mais…
– Bien s?r. Laissez-moi payer ?a et je vous retrouve dehors.
Quelques minutes plus tard, on est sur le petit parking. Le marché est le seul magasin ouvert sur la place, mais le café au bout de l’allée dispose d’une terrasse. Je fais un geste dans sa direction.
– Allons nous asseoir.
Elle acquiesce. Nous marchons jusque-là, je retourne deux des chaises, les pose sur le sol et nous nous asseyons l’une en face de l’autre. Je la regarde, elle a l’air vraiment triste et ?a me fait de la peine.
– Comment allez-vous ? je lui demande enfin. Nous n’avons pas parlé depuis la nuit… vous savez, la nuit…
– Ah, cette nuit-là, répète-t-elle d’un air entendu.
– Juste pour que vous sachiez, je n’avais aucune idée de ce que ma mère allait faire. Elle m’a prise par surprise, comme elle le fait avec tout le monde.
Les yeux de Gemma s’écarquillent.
– Oh… non. Je n’ai pas pensé un instant que tu étais impliquée.
– Ah, d’accord. Tant mieux.
Un autre silence s’installe.
– J’ai regardé toutes les vidéos de Tate, je dis. C’était une sacrée traversée, hein ?
– J’ai pris dix ans d’un seul coup. (Elle frissonne.) Il aurait pu mourir dans cette tempête. Mon Dieu ! Et quand son GPS s’est cassé ! (Elle déglutit à plusieurs reprises, on dirait qu’elle a la nausée.) N’aie jamais d’enfants, Cassie. Tu vis constamment dans la peur qu’ils meurent.
– Nah… quand le GPS s’est cassé, c’est là que je me suis le moins inquiétée.
– Vraiment ? Parce que moi, j’ai tout de suite imaginé mon fils perdu au milieu de l’océan Indien.
Je fais non de la tête.
– Tate ne se perdra jamais tant qu’il y aura des étoiles dans le ciel.
L’émotion fait battre mon c?ur. Il me manque tellement, je pense à lui tout le temps. Parfois, je rêve que je suis sur le Surely Perfect. On est tous les deux sur le pont en teck brillant, allongés sur une couverture, et on regarde les étoiles. Il me montre les différentes constellations et me dit exactement où on est.
Gemma doit lire dans mes yeux combien j’ai mal de le savoir si loin parce que les siens se remplissent à nouveau de larmes.
– Pourras-tu me pardonner un jour ? dit-elle à br?le-pourpoint.
– Vous pardonner quoi ?
Plut?t que de s’expliquer, elle semble changer de sujet, elle regarde dans le vague.
– Ses vidéos, Cassie… Il est heureux, oui, il est toujours heureux quand il navigue. Mais je connais mon fils, il n’est pas en paix. Ses yeux sont inquiets.
Perso, je n’ai jamais rien vu de tel, mais c’est sa mère. Elle le conna?t mieux que n’importe qui. Elle a probablement toutes les expressions du visage de Tate en stock dans sa mémoire. Même la plus petite émotion.
– On s’est parlé trois fois, me dit-elle. Une fois chaque mois. Il appelle par téléphone satellite. C’est cher, alors il fait en sorte que les appels soient courts. Mais je l’entends dans sa voix, il est triste.
Un sanglot monte dans ma gorge, je m’empresse de le ravaler. ? Je suis triste moi aussi ?, ai-je envie de lui dire. Ce que je ne fais pas. Parce que je connais la raison de notre rupture… elle est assise juste en face de moi. Et je ne lui en veux pas, pas le moins du monde.
– Je lui ai demandé de rompre avec toi, avoue Gemma. Je lui ai dit que je n’allais pas supporter de te voir.